Robert Savoie

Un subtil environnement optique
Galerie Kôzen 532, avenue Duluth est Montréal H2L 1A9
Du 1er août au 20 septembre 2008

La galerie Kôzen nous invite à découvrir des oeuvres d’art cinétique qui exercent encore un étonnant pouvoir de séduction. Crées par Robert Savoie au cours des années soixante-dix, ces images fixes ou encore mouvantes, rayonnent une bonne humeur très évocatrice d’une ambiance optimiste de l’époque du pop-art. Savoie est surtout connu pour ses aquarelles et ses estampes très marquées par la philosophie zen, envisagée dans une conception japonaise. Ses travaux cinétiques exposés chez Kôzen, très proches de l’abstraction géométrique, démontrent une subtile complémentarité entre son idée de l’op-art et l’aquarelle ou l’estampe gestuelle qu’il explore depuis le début de sa carrière.

Dans l’œuvre de Savoie, des éléments contrastés, réunis avec une grande économie de moyens et une forme d’esprit de discrétion, créent une subtile transe ludique qui surpasse tout effet syncopé ou de discontinuité. Il est instructif de considérer la Triennale québécoise de 2008 afin de placer dans un certain contexte esthétique les œuvres de Savoie.

La Triennale nous démontrait que la descendance de l’op-art est pour ainsi dire omniprésente aujourd’hui. À travers la vidéo et de ses arrangements qui relèvent du montage virtuel ou digital, les effets de perception visuelle et auditive se caractérisent par une certaine intensité psychique – du moins en les observant en comparaison aux effets plutôt calmants des tableaux cinétiques de Savoie. Celui-ci obtient un résultat hypnotique en employant des moyens mécaniques pour activer quelques-unes de ses œuvres cinétiques. Il utilise des moteurs qui font tourner des disques sur des fonds stables en plexiglas, à une vitesse d’un tour par minute.

Peut-être y a-t-il un lien entre l’effet optique à la fois reposant et changeant créé par Savoie et l’action mécanique qui met en mouvement ses œuvres. De plus, une certaine alchimie à l’intérieur de l’œuvre, empreinte de l’esprit du zen est nécessaire pour que l’effet optique réalisé par la rotation puisse atteindre toute son ampleur.

« L’effet moiré »

La galerie Kôzen, située sur la tranquille rue Duluth au cœur du Plateau Mont-Royal, non loin du Parc Lafontaine, porte un nom emblématique lié aussi a cette qualité zen qui émane de l’œuvre de Savoie.   Le moiré d’une image op-art de Savoie placé dans la vitrine peut séduire le passant montréalais, ou le touriste venu souvent des Etats-Unis en train d’explorer le quartier. Les huit tableaux de Savoie paraissent au premier regard marqués par le minimalisme, mais une attention prolongée relève non seulement leur intensité, mais paradoxalement, une sensation de profond repos qui empreigne l’espace d’exposition. Les formes dominantes des champs visuels sont le carré et le cercle. Dans les pattern géométriques, quelques couleurs semblent prédominer : le vert moutarde, bleu ardoise, gris foncé donnant au noir… La base est parfois stable, dans quelques tableaux un moteur fait tourner un disque au-dessus du fond. Souvent, l’œuvre cinétique intègre le mouvement à une configuration géométrique de base. Avec des moyens minimaux, l’artiste crée un environnement optique et psychologique de cercles et de points, foisonnement de formes éclairées, à la fois organisé et en recomposition.

« L’effet moiré », formé par le mouvement de pattern répétitifs et superposés, sous l’influence de la lumière – très présent d’ailleurs dans l’œuvre d’autres artistes de l’op-art, tels que le Vénézuélien Carlos Cruz-Diez – produit des images optiques complexes et inattendues, susceptibles d’avoir une influence émotive. Ce qui est remarquable chez Savoie, est sa capacité de suggérer un environnement avec un minimum de moyens plastiques.

L’harmonie dynamique de l’oeuvre op-art ou cinétique, son discret lyrisme, relie cette réalisation au corpus plus étendu des œuvres de Savoie, représentées par l’aquarelle et l’estampe. L’artiste se manifeste comme un assidu praticien de la couleur et de la forme, toujours recomposées, toujours renouvelées au contact de la vision zen japonaise de la réalité. Vision japonaise, car à mon avis, il s’agit de l’accent sur le mouvement et en même temps du repos dans même le mouvement. La calligraphie et l’extension de celle-ci dans la peinture se présentent dans les aquarelles de Savoie comme des effets de fragmentation, de ricochets très riches et surprenants, de taches multiformes mais structurées et pourtant mystérieuses. Ces effets se déploient avec une ampleur évidente dans les aquarelles de grand format. Savoie est un peintre « qui connaît les possibilités infinies de la couleur pure» (1).

La couleur surgit du néant

Il est probablement difficile à saisir Savoie sans se référer à la philosophie zen. L’expérience de la couleur et du mouvement rapide et spectaculaire tout en étant apaisant de manière paradoxale, est susceptible d’être mieux comprise à travers le concept de néant. (nothingness) Les éclaboussures et les ricochets de couleur dans les peintures de Savoie, se hissent dialogiquement – ou trouvent encore une résolution paradoxale – dans un sentiment de paix presque contemplative. Le zen japonais, dans la conception du philosophe Nishida Kitaro, relie au néant la qualité de l’être dedans, de « l’être à l’intérieur ». (2) Savoie, qui visite souvent et depuis longtemps déjà le Japon a probablement absorbé ces concepts. Le mouvement extrême et le repos profond font partie d’une expérience continue qui surgit du néant. Dans l’œuvre de Savoie, les surfaces peintes, ainsi que les tableaux op-art, ou encore les ensembles cinétiques se nourrissent, d’une manière qui échappe en partie au langage, du « néant » à travers le prisme du zen.

Au-dessus d’une arcade qui surplombe le tunnel du métro de la station Place Victoria à Montréal, Robert Savoie a installé une murale minimaliste en feuille de cuivre modelée et signée par l’artiste. Ce minimalisme peut être associé à la qualité taoïste de fadeur, une basse densité du signe qui stimule la perception, décrite par le sinologue François Jullien. À Place Victoria, « le vide » fait place à la vitesse du métro en mouvement.

L’œuvre de Robert Savoie tend vers l’unité. Les voies pour l’atteindre sont nombreuses. « L’effet moiré » de ses oeuvres cinétiques constitue l’une de ces voies. Les aquarelles représentent une autre voie. En fin de compte, il s’agit de notre plaisir psychique favorisé par le regard.

Références

  • Joseph Campbell – The Breath of the Void : Robert Savoie , édition Galerie Kôzen, 1989 p.13
  • Idem – p.17

ANDRÉ SELEANU