Les dessins: couleur, calligraphie, abstraction

Formée dans la profonde tradition de l’école artistique roumaine et bucarestoise, Raluca Pilat a aussi assimilé des éléments des écoles québécoise et canadienne. Son art possède un côté instinctif façonné par une longue histoire culturelle reflétée par les jeux inédits d’ocres et jaunes et une calligraphie raffinée, sophistiquée, qui regarde subtilement vers le registre postmoderne et contemporain. On aura compris : un art à la fois clairement défini, une palette personnelle mûrie par le travail et l’expérience : et sur ce socle, de vastes possibilités… Une œuvre polysémique enracinée dans la Terre et débouchant sur l’imaginaire.
Encore, la couleur de sensibilité méditerranéenne symbolisée par des rouges sanguins et rêveurs à la fois, de joyeuses notes dorées et amplifiées par taches et rayures intégrant des nuances de noir et gris qui fondent parmi des champs de couleurs primaires et tempèrent l’émotion intense, en insinuant une réserve nordique reliée peut-être à l’ethos de son nouveau pays. Tout évolue en finesse, car l’artiste suggère… elle ne déclame pas… et pourtant quelque part, la force, le souffle d’un volcan se font sentir.
À mon avis, une approche abstraite prévaut ici – mais entourée ou parée de leurres figuratifs : derrière la sensualité des volutes et des arabesques, il se trouve littéralement des champs d’expression abstraite, ou alors des analogies ou illustrations d’un micro-monde de la physique quantique, bien en deçà de notre capacité perceptive.
Y voit-on la mer, des silhouettes humaines, des oiseaux ou l’intrusion de chimères ? Bref, on se trompe en voulant se limiter à des associations d’idées figuratives, car les envolées rêveuses de l’artiste nous éconduisent réellement vers des domaines imaginaires abstraits… À la rigueur, un formalisme esthétique mallarméen, abstrait et néanmoins sensuel façonne- t-il son œuvre.
De plus, sans le dire explicitement, de grandes affinités avec l’incomparable dessinateur new-yorkais Saul Steinberg dans le raffinement – bien ciblé, orienté – des jeux et arabesques calligraphiques, une parenté aussi avec Simon Hantaï – l’artiste parisien né en Hongrie – dans le placement de signalétiques mystérieuses et pourtant non-signifiantes, du Dali (en esprit) dans certaines brumes volages de mondes autres, tout en suggérant un espace de physique subatomique. En effet, perception englobante du monde, micro et macro, volonté de saisir sa complexité comme de l’intérieur même, et de la redire dans l’abstraction à travers une poétique en libre évolution. Enfin, spiritualité empreinte d’un sentiment que l’on pourrait designer comme amor mundi.