Réalité et lumière
Le photoréalisme et l’hyperréealisme
Galérie de Bellefeuille
Coordinateur : François Arès
1367 avenue Greene, Montréal H3Z 2AB
(514) 933 4406
www.debellefeuille.com
du 8 septembre au 2 octobre 2012
La rentrée en arts visuels sera marquée par une grande exposition d’œuvres photoréalistes et hyperréalistes proposées par la Galerie de Bellefeuille, réunissant plus de cent tableaux et sculptures réalisés par cinquante artistes provenant du Canada, des États-Unis, Grande-Bretagne, France et Italie. Parmi les participants, on note la présence de Ralph Goings,Tom Blackwell et John Baeder identifiés à la « première génération » photoréaliste des États-Unis, ainsi que celle d’une plus jeune génération de peintres montréalais, dont on peut relever la présence de Jason de Graaf, Paul Béliveau, Florence April-Borgeat et Joan Pujol, qui partage son temps entre Montréal et Barcelonne.
L’expression picturale photo et hyperréaliste nous offre une ample documentation qui se veut une fidèle image de la culture qui nous cerne, du monde moderne et post-moderne déployé autour de nous. Le photoréalisme prend essor en 1969 avec l’exposition intitulée Photorealism, organisée par le galeriste new-yorkais Louis K. Meisel. Dès la fin des années soixante, le photoréalisme crée une archive de paysages urbains, de portraits, d’objets d’utilisation quotidienne issus de la culture de masse « pop » et de filiation industrielle. Développé à partir du photoréalisme au cours des années soixante-dix, l’hyperréalisme, quant à lui, explore l’illusion optique, nargue la réalité photoréaliste, reprend l’image virtuelle de composition informatique, adopte en somme le trompe l’œil, ce qui peut évoquer des saisissants rapprochements avec la peinture de genre néerlandaise, tantôt baroque, tantôt réaliste du dix-septième siècle, ce « Siècle d’or » de la Hollande. Avec la peinture néerlandaise, le photoréalisme partage le pragmatisme de sa vision, esquivant sujets mystiques et transcendantaux.
La reproduction picturale de clichés photographiques
Apparentés au réalisme pictural, cependant issus de sa tradition, le photoréalisme et le hyperréalisme le dépassent largement en précision descriptive, exigeant une virtuosité sans faille dans la représentation du détail. La minutie repose souvent sur la reproduction d’un cliché photographique, la matrice de l’image peinte étant constituée par le quadrillage de l’espace pictural. Les contours tracés sur des carreaux suivent l’articulation de l’image photographique.
Les galeries new-yorkaises Louis K. Meisel, OK Harris, et Bernaducci Meisel ont offert leur concours à la préparation de cet événement. Les collaborateurs ont aussi accepté de prêter des œuvres pendant la durée de l’exposition. Le galeriste Jacques de Bellefeuille raconte comment au cours d’une visite en 2011 à New York, de manière « un peu magique », il faisait la rencontre de Louis. K. Meisel dans sa galerie à SoHo, quartier des galeries. Ce galeriste, qui s’est érigé en champion du photoréalisme dès ses débuts en 1969, déclare tout de suite son consentement à la tenue d’une grande exposition photo et hyperréaliste chez de Bellefeuille, tout en offrant de rendre disponibles certaines ressources de sa galerie.
Le galeriste Jacques de Bellefeuille considère qu’à la fois le photoréalisme et l’hyperréalisme « se chevauchent » aujourd’hui, des distinctions claires entre ces styles apparentés n’étant plus si faciles à tracer. Les deux styles se caractérisent par la représentation de l’éclat de la lumière : la recherche intense de la lumière, au-delà de la réalité. Le galeriste s’explique : « Ces deux styles sont représentés par des artistes qui en quelque sorte descendent dans la rue pour constater le monde autour d’eux, des artistes qui cherchent l’actualité des objets… J’ai été impressionné par les peintres qui se surpassent dans l’exactitude de ce qui est transféré, par leur habileté technique ». En discutant le contexte social du photoréalisme, le galeriste déplore « que dans les universités, les jeunes apprennent de moins en moins de faire de la peinture… On n’apprend pas à manier l’anatomie ou la figuration. Et pourtant, des années sont nécessaires avant de devenir peintre ». Par conséquent, il prédit un avenir prometteur pour les deux réalismes. « Moins il y aura des peintres compétents dans le cadre du marché de l’art, plus le photoréalisme et l’hyperréalisme seront appréciés par les collectionneurs », conclut le galeriste.
Un fait « contre-révolutionnaire » au profit des collectionneurs

Éloigné du débat universitaire, le photoréalisme s’est orienté surtout vers les collectionneurs, voilà ce que souligne le galeriste Louis K. Meisel, qui s’est constitué historien de ce mouvement pictural, resté largement hors de la considération des médias. Dans un livre qui fait autorité, Louis K. Meisel consent avec le critique d’art H. H. Arnason, lorsque celui-ci écrit : « Aux yeux de la communauté des critiques d’art, le photoréalisme constituait à son apparition un fait contre-révolutionnaire qui irritait bien davantage que les stratégies iconoclastes des artistes conceptuels. Le nouvel art super-réaliste remporte une victoire : surtout comme lieu de convergence pour les intérêts des galeristes et des collectionneurs(…) ». (1)
Dans le sillage du pop art, en utilisant largement les mêmes symboles que celui-ci, le photoréalisme se veut en rupture avec les formalismes « auto-purifiants » ( H. H. Arnason) de la seconde moitié du vingtième siècle, incluant l’expressionnisme abstrait, la performance, le « jeu de mots duchampien », le minimalisme… Les photoréalistes réintègrent l’atelier et adoptent la prouesse manuelle du trompe l’œil, ou encore l’illusion picturale rejetée par le modernisme mainstream.
Ralph Goings, photoréaliste de première heure, qui sera encore présent cette automne dans le cadre de l’évènement monté chez de Bellefeuille, décrit ce moment crucial de décision esthétique: « À la fin des années soixante, il ne fallait pas copier des photos. Si on le faisait, les gens disaient : ceci, ce n’est pas de l’art. Moi, je voulais faire quelque chose qui embêtait les gens… je m’amusais follement avec le photoréalisme». (2)
Alors que le photoréalisme recherche la neutralité et l’objectivité de la représentation, l’hyperréalisme entretient des affinités avec l’expressionnisme : ses descriptions sont narratives, émotives et peuvent s’éloigner de la réalité, dont il conserve néanmoins l’illusion visuelle. L’hyperréalisme peut aussi reproduire en peinture des images digitales : « la simulation de quelque chose qui n’a jamais existé ». (Jean Baudrillard)
![Jason de Graaf[2]](https://andreseleanu.files.wordpress.com/2017/08/jason-de-graaf2.jpg?w=776&h=389)
Quelques photos et hyperréalistes américains
Une discussion du photoréalisme se doit d’inclure Chuck Close, peintre dont l’œuvre illustre l’ambigüité des classifications, artiste qui a intégré le panthéon des figures marquantes de l’art contemporain américain. Ses portraits démesurés représentent souvent des personnages qui ont l’air d’être « en rupture ». Marqués par des tonalités de base qui tournent autour du rouge, normalement classées comme photoréalistes, les portraits de Close peuvent relever du hyperréalisme, mais également ils recèlent de l’expressionnisme et du pop art.
Parmi les exposants des États-Unis dans l’exposition réunie chez de Bellefeuille, John Baeder, Tom Blackwell et Ralph Goings appartiennent aux photoréalistes de première heure. John Baeder démontre comment le mode de vie américain s’articule en véritable culture, à travers ses images descriptives de petites villes de province. Au fil des visions de ses diners, terme qui peut être traduit comme café-restaurant ou casse-croûte, Baeder formule un véritable hymne à une architecture vernaculaire, et en fait à tout un mode de vie. Ralph Goings, dans une veine semblable, s’intéresse aux aliments –fétiche, aux nourritures de masse – Ketch-up Heinz, sauce A1 pour bifteck, entre autres – dans leurs reluisants flacons en verre, en explorant en même temps le thème de l’intérieur des diners. Ses recherches sur les reflets peuvent être considérées comme des prolongations des finesses des peintres néerlandais.
Tom Blackwell commençait sa carrière en tant qu’expressionniste abstrait, mais au cours des années soixante, faisait la transition vers le photoréalisme, tout en traversant une phase pop art. Ses toiles de grandes dimensions analysent les jeux complexes de réflexions de lumière sur des volumes chromées de motocyclettes ou encore considèrent les rayons lumineux qui longent ou traversent des vitrines et devantures commerciales.
L’hyperréaliste Ron Kleeman se spécialise dans une forme de représentation de la violence symbolique liée à l’agression et à la concurrence qui semble inhérente aux courses de voitures Formula 1, en reprenant le clinquant de jeux de reflets de lumière sur des surfaces métalliques.
Bertrand Meniel qui explore les réalités fétides de l’Amérique :l’hyper-réalité telle que découverte par Jean Beaudrillard
Le photoréaliste français Bertrand Meniel exprime, quant à lui, sa fascination pour le paysage urbain américain, non seulement commercial, mais aussi surchargé -fétide même- avec ses enchaînements de restaurants intercalés de bars de strip-tease. Le signe des réalités, omniprésent, remplaçant la substance ainsi que la réalité de la vie urbaine, les méditations de Jean Baudrillard peuvent entrer en scène : en particulier on note dans les tableaux de Meniel l’application du concept-intuition de hyperréalité du philosophe français. « L’Amérique n’est ni un rêve, ni une réalité. (…) C’est une hyperréalité, parce que c’est une utopie, qui dès le début s’est vécue comme réalisée », constatait Beaudrillard. (3)
Quelques hyperréalistes canadiens
Les œuvres de quelques artistes montréalais illustrent la quête de perfection dans le cadre du style hyperréaliste. « Mon objectif n’est pas de reproduire un document de manière fidèle (…), mais de créer l’illusion de profondeur et un sentiment de présence absent dans la photo », écrit l’artiste montréalais Jason de Graaf. Ses natures mortes proposent d’éblouissants effets de lumière. « À travers les couleurs et la composition, je veux charger mes peintures d’émotion, d’atmosphère et de mystère », écrit de Graaf (4).
Florence April-Borgeat explore la diversité des éclats de lumière produits par les surfaces multidimensionnelles des pierres précieuses. L’artiste écrit à propos de sa série intitulée Forever : « L’objet de ma recherche consiste en une interprétation d’une matière à la fois évanescente et d’une dureté infinie. (…) Je décompose l’image du diamant à grande échelle, jusqu’à en faire une image presque abstraite »(5). L’objet « infiniment petit et précieux » devient « une allégorie de lumière », transposée aux dimensions d’une grande toile.
L’histoire de la culture occupe une place importante dans la peinture de Paul Béliveau, qui crée des images hyperréalistes composées de reliures de livres réels ou imaginaires. « En intégrant ouvertement dans ses compositions une iconographie du passé liée au livre, en procédant par citation et rétrospection, Béliveau révèle le phénomène de métamorphose sur lequel se fonde l’imaginaire »(6). Toujours en explorant le rapport délicat entre l’univers de l’information et celui de l’image peinte, Joan Pujol artiste montréalais qui passe une partie de l’année à Barcelonne, choisit de dépeindre des journaux pliés et rangés dans des étalages. Depuis longtemps la représentation des plis de la matière constitue un défi pour les peintres. Dans cette ancienne veine, les prouesses de Pujol reprennent la forme subtile de l’iconographie des plissures textiles évoquées dans la peinture de genre traditionnelle.
Références
- H. Arnason cité par Louis K. Meisel dans Photorealism since 1980, Harry N. Abrams Inc. New York 1993 p. 9
- wikipedia.org wiki Ralph Goings_Goings
- Jean Baudrillard L’Amérique, Grasset 1986, p. 57
- http ://www. debellefeuille.com/de-graaf-jason
- http://www.debellefeuille.com/april-forever-2
- Dany Quine L’œuvre du temps 1996