La poésie du thé, les routes de thé. Pointe-à-Callière, Cité d’archéologie et d’histoire de Montréal. Exposition réalisée par Pointe-à-Callière
En partenariat avec le musée Guimet à Paris.
pacmusée.qc.ca
du 30 avril au 29 septembre 2013
L’histoire de la diffusion du thé s’articule comme une grande épopée planétaire, étroitement liée au cheminement de la civilisation. Découverte en Chine bien avant notre ère, cette boisson fait évoluer la culture; elle semble posséder une vertu favorisant « les rencontres entre les cultures », selon l’expression de l’historien britannique Arnold Toynbee. Introduit au Japon autour du huitième siècle de notre ère au sein de cérémonies bouddhiques, le thé provenant de Chine est adopté par les Russes et les Portugais au seizième siècle. Mais bientôt toute l’Europe, en commençant par la Hollande, constatera sa propre dépendance du thé, aussi tenace que celle des Orientaux.
« Les Routes du thé » est une exposition qui réunit avec un subtil esprit de synthèse une présentation imagée des enjeux géo- politiques d’une denrée convoitée, à une poétique et à une esthétique du thé, illustrées à la fois par des fragments de poèmes et par d’anciens objets rares et précieux : bols, gobelets, verseuses, théières qui représentent des sommets des arts décoratifs de l’Asie. Rassemblée par Jean-Paul Desroches conservateur associé au Musée Guimet des arts asiatiques de Paris, l’exposition recèle un passionnant va-et-vient entre l’exploration de l’esthétique d’objets décoratifs et de type rituel, et le commentaire géo-politique sur le rôle du thé dans l’histoire.
À l’origine de la consommation du thé comme boisson médicinale et par la suite roborative, trône un personnage légendaire chinois, le mythique empereur Shen Nong, grand expert en plantes médicinales, surnommé « Le Divin Laboureur ». (2737-2697 av. J. C. ?) Il est mentionné pour la première fois à la fin du Vème siècle de notre ère dans Bencao jizhu « Livre de la pharmacopée commentée ». Au fil des siècles en Chine, le thé – autant que le vin de riz, son rival – fait l’objet d’une riche iconographie et d’une importante littérature.
Autant en Chine qu’au Japon, le thé, qui favorise la méditation, est lié à l’évolution du bouddhisme tchan, ou zen. Au cours de l’histoire chinoise avec ses multiples dynasties, l’histoire des arts décoratifs reflète le rapport avec le thé. Moins répandue dans des milieux populaires qu’en Chine, la consommation du thé reste longtemps au Japon l’apanage de cérémonies zen fortement codifiées, pratiquées par des moines et des samouraïs.
Par la suite, lorsque l’Occident adopte le thé, sa popularité sera bientôt reflétée par l’évolution des arts décoratifs : les manufactures de Delft, Meissen, Sèvres, feront une grande place aux théières, tasses et soucoupes de thé au sein de leur production.
Gōng fu cha (le service du thé) fait partie intégrante d’une culture chinoise qui remonte avant notre ère. Consommer du thé dans un esprit méditatif constitue une démarche associé à l’art, à la littérature et à la philosophie chinoise. Dans le contexte de la spiritualité chinoise, le thé est également relié au trois grandes religions qui régissent la vie chinoise traditionnelle : le bouddhisme, le taoïsme et le confucianisme. Au sein de l’exposition, des gobelets de couleur crème, noire et cendrée, crées au cours des dynasties du Nord et du Sud (386-581 après J.-C.), font preuve d’un étonnant minimalisme et d’une austère beauté, qui pourraient satisfaire même les plus rigides exigences de l’esthétique minimale du Bauhaus au vingtième siècle.
Des tasses d’un blanc légèrement bleuté de la dynastie Tang séduisent grâce à leur poétique délicatesse et au même minimalisme étonnamment moderne.
Une tête de cheval en terre cuite chinoise (entre le 1er et le 3ème siècle, période de la dynastie des Han orientaux) reflète l’importance du commerce entre la cour de Chine et les nomades de Mongolie. La Chine échangeait des grandes quantités de thé contre les petits chevaux d’une grande robustesse des Mongols, qui étaient indispensables à la puissance militaire impériale chinoise. Le cheval était un symbole de prestige social, de force et de vitalité.
La tête du cheval en terre cuite possède des oreilles largement déployées, une expression toute à l’éveil, des narines gonflées, frémissantes, ainsi qu’une bouche ouverte, symbole de force et d’agressivité. L’évidente vigueur expressive de cette œuvre présente un grand contraste par rapport à la féminine délicatesse des services de thé Tang.
Des bols moins profonds et plus grands qui servaient à la consommation du « thé battu » à la « méthode du fouet », appartiennent à la dynastie Song. (960 -1279 après J.-C.) À glaçure vert céladon – nuance diaphane de vert blanchâtre – ces bols de thé sont parés de symboles bouddhiques, dont on peut reconnaître la fleur de lotus. Épurés certes- moins cependant que les céramiques Tang – ces bols sont eux-aussi d’une grande élégance.
Les lettrés de l’époque de l’empereur Qianlong (1736-1795) préféraient les théières fabriquées en grès de Yixing, aux porcelaines plus lisses. Leurs argiles, qui se déchirent, du jaune au noir et du rouge au brun, gardent la mémoire des infusions antérieures, conférant au thé des arômes sans égal. Les théières de petites dimensions ont des formes symboliques liées à une pensée littéraire et allusive.
Au Japon, la cérémonie du thé vert moulu est hautement ritualisée et reste très vivante: elle dénombre aujourd’hui encore plusieurs écoles et types de cérémonie. Elle a été codifiée par le maître zen Sen no Rikyû (1522-1591), qui entra au service des grands féodaux – ce qui était risqué, car il fut forcé à se suicider suivant un rituel établi sur l’ordre du chef militaire (kampaku- régent) Hydeoshi Toyotumi. Se déroulant dans des maisons de thé, la cérémonie formelle chanoyu, est aussi vouée à l’appréciation de poèmes calligraphiés, d’arrangements floraux et du paysage fortement codifiés des jardins japonais.
Dans l’esprit zen, chaque rencontre-méditation rituelle doit être considérée comme un trésor unique qui ne pourra jamais se reproduire; ainsi, le maître Rykyû proclamait-il : « une fois, une rencontre »; ichi-go, ichi-e, en japonais. Des bols chawan façonnés à la main plutôt qu’au tour, intégraient des fissures recouvertes de laque d’or kintsugi, symbolisant une esthétique de l’imperfection et du passage du temps qui consacre la valeur de l’objet.
Liée au volet européen plus récent de l’épopée du thé, on note aussi la haute qualité artistique des porcelaines de Meissen, Delft, Sèvres et des Potteries des Midlands anglais. Dès 1820, le thé commence à être consommé au Canada, où se développe une industrie locale de porcelaine et de céramique. Les théières canadiennes, plus grandes et plus lourdes afin de servir des familles nombreuses, possèdent également leur grâce singulière.