L’art actuel de Premières Nations: L’esthétique d’un discours critique
Jason Baerg peinture, Lori Blondeau installation peinture photo, Martin Loft photo documentaire de portraits, Cathy Mattes installation, Nadia Myre vidéo, Ariel Lighteninchild Smith vidéo.
Commissaire : Ryan Rice
MAI – Montréal, arts interculturels
3680, rue Jeanne Mance Montréal
(514)982-1812
www.m-a-i.qc.ca
du 19 mars au 25 avril 2009
Six artistes d’origine autochtone proposent des œuvres contemporaines qui reflètent des aspects existentiels reliés à la condition des Amérindiens du Canada. Déchirée entre un passé mythique proche de la nature et une société capitaliste fluide, la quête identitaire amérindienne doit aussi frayer avec une société multiculturelle où l’individu doit constamment s’affirmer : même l’identité sexuelle est en fluctuation. Les œuvres présentées se placent dans une très intéressante dialogique basée sur l’art contemporain, dont elles reprennent certains thèmes dans une optique des Premières Nations : identité historique, territoire géographique et spirituel, charge psychique de l’héritage colonial, affirmation et combat culturel des femmes autochtones, icône virtuelle simplifiée, contrastée au complexe symbole mythique… Ancrées dans une culture amérindienne continentale très ancienne, immémoriale, les œuvres sont surtout tributaires aux formes actuelles de l’art international.
Le commissaire Ryan Rice, qui réclame son appartenance à l’ethnie iroquoise et à la communauté indigène de Kanawake, réalise un tour de force en agençant des œuvres qui de plain-pied prennent leur place dans l’art actuel, peut-être à l’encontre des contraintes de l’espace d’exposition de dimensions plutôt modestes, quoique moderne et bien éclairé. Les œuvres laissent deviner un certain chamanisme, qui contribue au charme, sinon à la magie subtile de l’espace d’exposition.
Le commissaire doit se débrouiller avec la contrainte imposée par l’espace : ainsi il ne présente qu’une œuvre par artiste. Rice a su composer un ensemble qui inclue la peinture, la vidéo, la photo en noir et blanc et l’installation conceptuelle, qui au-delà de sa diversité, crée un sentiment unitaire esthétique et intellectuel. L’expression artistique laisse une place importante à l’ironie et à l’esprit de jeu, qui facilitent le traitement de thèmes historiques difficiles. Elle contient aussi des divers degrés de militantisme social. L’intitulé de l’événement Hochelaga revisité , signale des rapports entre le passé amérindien et son propre mythe, et l’actuel cadre urbain : celui d’une grande métropole touchée par la mondialisation. Le commissaire nous rappelle que le nom iroquois original de Hochelaga était Oshéaga. Sur ce site, il y avait une immémoriale présence amérindienne. Cette présence se continue même actuellement. Ce qui est moins connu par les Canadiens, c’est qu’un nombre important d’Amérindiens (peut-être une majorité) habitent aujourd’hui hors des réserves : ils vivent aussi dans les grandes métropoles – y compris à Montréal.
Une énergie vitale
Jason Baerg est peintre, vidéaste, artiste du multimédia de réputation internationale : il a participé, entre autres événements, à Art Basel Miami, au Centre Banff et au Tortonto Art Fair. Dans l’évènement actuel, il expose une œuvre picturale panoramique en trois panneaux déployés horizontalement, qui porte l’intitulé Flourish(Prospérer , 2009) et tient à la fois du paysage de l’abstraction géométrique (l’œuvre rappelle subtilement Yves Gaucher) et de la cartographie. Le commissaire Ryan Rice explique qu’il peut s’agir d’une cartographie de Montréal. (Hochelaga) Composée dans les quatre couleurs sacrées traditionnelles des Amérindiens – noir, rouge, jaune et bleu – l’œuvre possède un aspect à la fois harmonieux et vectoriel, dont le message unifié est en même temps synthétique et virulent, vif et apaisant. C’est une composition dynamique et aérée, qui laisse circuler l’énergie vitale, chi , vitale selon la théorie artistique orientale. L’œuvre constitue en plus non seulement un signe fort, mais une bande dessinée abstraite. La concision sémiotique du signe fait aussi place à un état de conscience qui inclut l’orgueil et la méditation.
Sous le signe de l’ironie, l’œuvre vidéo de Nadia Myre, participe à une esthétique minimaliste qui inclut la lettre et le langage pour mieux signifier un questionnement politique aiguisé. Nadia Myre a étudié les arts visuels à l’Institut Emily Carr de Vancouver et réalisé sa maîtrise à l’Université Concordia de Montréal. L’œuvre intitulée Repenser l’hymne national (2008) présente une écriture qui sur une feuille blanche se reprend sans cesse des mots Our Home and Native Land. ( notre foyer et notre patrie) Au lieu de donner lieu à la confusion, comme c’est souvent le cas, la répétition sérielle joue sur le double sens du mot anglais native : s’agirait-il du pays de naissance des Canadiens ou encore de celui des Premières Nations? L’ironie, qui est frappante, est pourtant subtile. L’esthétique de la vidéo en noir et blanc avec des dégradés et des variations d’intensité est satisfaisante.
Captés au cours des années quatre-vingt, les clichés en noir et blanc de Martin Loft tiennent à un genre plus traditionnel. Elles tiennent à la fois au réalisme et à l’expressionnisme ainsi qu’à à la grande tradition de la photo sociale du portrait. Quinze images de personnes démunies d’origine amérindienne rencontrées dans les rues de Montréal, démontrent les séquelles psychiques du déplacement provoqué par le besoin économique. « Il s’agit de donner un visage à des gens que nous nous imaginions comme étant invisibles », explique Ryan Rice. Au plan sociologique, ces photos donnent une identité plastique, publique ou sociale – un statut- à des membres des Premières Nations vivant en grande ville, hors des réserves.
Une étrange beauté
Ariel Lighteningchild Smith manie un montage vidéo carrément militant, elle crée sous le signe de l’indignation. L’œuvre en noir et blanc est empreinte d’une étrange beauté, en dépit de la sauvagerie de certaines images – je ne serais pas surpris si la vidéaste ait longuement fréquenté L’Âge d’or ou Le Chien andalou de Luis Bunuel. Selon Rice, l’artiste qui provient de milieu défavorisé a aussi fréquenté le monde de la prostitution. Leçons de conquête (2005) décrit des formes de violence, des agressions sexuelles et physiques qui incluent des sévices contre des enfants signifiés par des poupées. Rice explique qu’il s’agit d’une dénonciation du colonialisme et du pillage et de la violence, qui sont ses fondations. « En fait, il est question du pouvoir », éclaircit Rice. Derrière une certaine démagogie visuelle, il y a à la fois souffrance, humour, compassion – une esthétique à la fois de la clarté et de l’incertitude…
Cathy Mattes, artiste qui se réclame de racines métisses, est établie dans une région rurale du Manitoba. Au cours des années quatre-vingt-dix, elle a été active en tant que commissaire invitée à la galerie Oboro de Montréal. Dans ses œuvres conceptuelles inspirées de l’histoire complexe des autochtones, elle examine des stéréotypes sexuels et des automatismes de langage, en faisant preuve d’ironie et de mobilité intellectuelle. Mattes revendique l’identité métisse en particulier : actuellement, les membres des Premières Nations soulignent leur propre nation spécifique. L’œuvre de Mattes se présente en peu en jeu de société, comme une natte verte, posée sur le plancher inscrite d’énoncés en français, anglais et langue indigène. Ces messages sont pleins d’ironie à l’égard des stéréotypes sur les femmes métisses et critiquent l’attitude bien-pensante en général.
Ces artistes indigènes ou très proches du monde des premières nations maîtrisent un idiome artistique totalement branché sur l’art actuel. Ils ont fréquenté les meilleures universités en arts visuels : le commissaire Rice est diplômé à la fois du prestigieux Bard College à l’état de New York, de Concordia et de l’Institute for American Indian Arts de Santa Fe au Nouveau Mexique. Il est d’ailleurs un personnage clé des arts visuels amérindiens au Canada. N’oublions pas que pour les artistes indigènes, le maniement des symboles aux origines enfuies dans le temps fait partie d’un langage mythique. De là, il n’y a qu’un pas à la maîtrise des signes de l’art contemporain. La pensée symbolique et la pensée mythique entretiennent des rapports évidents. La finesse des artistes du monde autochtone est d’investir le signe d’aura et de chamanisme, et d’autre part ce signe porte la charge du vernaculaire artistique international.