John Ancheta

Chromatisme pour un présent inquiétant
Habitat, Battat Contemporary
7245, rue Alexandra, #100 Montréal (Québec) H2R 2Y9

(514) 750-9566
www.battatcontemporary.com
du 15 au 29 octobre 2011

La joie de la création est manifeste dans la peinture de John Ancheta, qui évolue avec souplesse entre des registres chromatiques davantage reliés à l’émotion et des registres graphiques connotant un espace, une organization contemporaine du champ plastique : géométrique et subtilement chaotique à la fois.

Habitat, mot quelque peu indéfini suggérant l’écologie, qui représente l’intitulé de l’exposition, a de quoi nous intriguer. Entre quelques portraits déconstruits aux traits “détruits” par des éclaboussures chromatiques, et des vues suggérant l’altitude évoquant d’indéfinies aires géographiques – à la rigueur des terrains d’atterisage en ruines ou aperçus à travers une hallucination – également à travers des scènes semblant appartenir à un fond océanique, Ancheta explore et ausculte l’anxiété du présent. Le peintre nous invite à identifier un sérieux fond de poésie au milieu des dissonances et de la cacophonie du présent. Sa maîtrise de la touche picturale et la variété de gestes qu’elle recèle, nous convient – nous leurrent – à laisser évoluer notre sentiment de ce que nous croyons être la beauté … afin que nous puissions apprécier, goûter la substance de ces temps de changement.

Entre le très fin aplat et les modulations d’un registre monochrome organisé autour de la couleur noir, et le violent empâtement – presque violent en fait, frisant, mais ne touchant pas au kitch – cet empâtement qui risque de suggérer un malaise, Ancheta, tel un jazzman, explore avec alégresse le territoire probablement infini des jeux chromatiques.

Dans sa peinture, il y a la mémoire de moments modernistes, avec une prédilection pour le surréalisme. Dans Clearing (2011), l’on identifie en quelque sorte les silhouettes extraterrestres proposées par Yves Tanguy, les disques colorés en flottement d’un Miró, les horizons distants et oniriques d’un Dali, le tout apparemment aperçu à travers une masse aquatique translucide. Le tout est surplombé par l’azur d’un ciel intense déployé sur des lointaines en teintes jaunes et vertes. Dans Musicien, l’artiste fait valoir l’obsession des noirs et de leurs dégradés modifiés, influencés par des blancs et des gris.

S’il y a malaise dans cette expérimentation chromatique, c’est que la couleur grattée, travaillée en profondeur par des rayures, appliquée à la spatule et laissée à dégouliner – projetée en ricochets – possède un peu trop de fraîcheur: les nuances ont une qualité crue qui marque le souvenir que nous garderons de ces oeuvres. Il s’agit en fait d’une peinture en harmonie avec un temps inquiétant et disharmonieux. Ce sont les grands formats des toiles qui nous donnent le temps de réfléchir aux connotations et associations des images d’Ancheta. Au-delà des agitations chromatiques, le peintre nous convie à beaucoup de méditation.

Dans Grizzly (2011), sur un registre prépondéramment noir, accentué par des verts en retrait, la couleur est à la fois frénétique et sculpturale, étalée surtout à l’horizontale, d’un volume et d’une rugosité surprenante: on pourrait dire la mémoire explosée et saccagée des rondeurs lisses du new-new painting des années quatre-vingt. Dans Rowers for Tom, vague silhouette sur fond de nébuleux paysage d’un cru chromatisme, la qualité existentielle d’un triste et dérisoire saltimbanque à la Soutine, semble refaire surface d’un néant psychique.

Le parcours personnel d’Ancheta est reflété par son travail pictural. Né en Californie, il termine ses études en arts visuels à l’université Concordia, à Montréal. L’artiste possède une sérieuse expérience en production cinématographique et vidéo, qui est interprétée par le montage à la fois orthogonal et panoramique de l’espace pictural, évidemment plein de déviations et déconstructions d’une couleur qui dégouline, qui est disposée de manière pointilliste ou qui est projetée en ricochets. La suggestion pointilliste connote la pixellisation de l’espace virtuel.   Le dialogue avec l’espace virtuel rapelle le travail du peintre montréalais Thomas Renix, qui également invoque l’image informatique. Le travail des couches et vernis translucides dans certaines toiles d’Ancheta, s’inscrit dans une tradition de dialogue avec la photographie, qui s’apparente en quelque sorte à l’oeuvre de Gerhard Richter. L’évocation de l’anomie sociale dans les images d’Ancheta, l’allusion à des “pouvoirs de destruction imminente”, suggèrent la tendance de notre société “à isoler, à exclure l’excentrique, le dépressif, l’artiste et le prophète – la différence”, selon John Bentley Mays, ancien chroniqueur d’art du Globe and Mail de Toronto. (1) La vibration de couleur qui marque l’oeuvre est en étroite relation avec le fait qu’Ancheta est lui même musicien, que ses goûts soient varies et éclectiques, et que la musique accompagne son temps de travail. Une joyeuse et humoristique vision de la mort, telle dans El dia de los muertos (Le jour des morts), n’est peut-être pas sans rapport avec un séjour d’apprentissage d’une année au Mexique effectué par l’artiste.

Le travail d’Ancheta se déploie autour de deux centres de gravité: d’un côté celui de la structure dessinée suivant vaguement un système de coordonnées verticales et horizontales, et indépendamment de cette structure se profile un discours gestuel d’un chromatisme qui fait place à une couleur qui débouche sur un profil taillé, sculptural, en fait deux mélodies distinctes qui par moments s’harmonisent.

  • John Bentley Mays dans Même en Arcadie, essai dans JohnAncheta Habitat catalogue d’exposition éditeur Battat Contemporary, Montréal, 2011