Entre l’anxiété et le plaisir : Chercher le trouble
Galerie d’art contemporain Visual Voice
372 Ste-Catherine O. Studio 421 Montreal H3B 1A2
Du 1er au 17 décembre 2011
www.visualvoicegallery.com

Geneviève Saumier nous propose une vision de la peinture qui réunit autant le processus de peindre que l’image et les qualités esthétiques de celle-ci. Son art se présente comme une forme de retour au tachisme – ce que l’on peut également observer dans l’œuvre du peintre montréalais Jean-Sébastien Denis – cependant, chez Geneviève Saumier, l’espace peint possède des nuances qui vont au-delà du tachisme; il n’est ni plat ni en perspective : il se déploie entre les deux. Tout est fait avec un maximum de fluidité, sans emphase, mais avec un évident plaisir que l’artiste partage avec le spectateur. Comme tout artiste pour qui l’abstraction compte – au-delà de quelques vagues silhouettes, fleurs, parties anatomiques peut-être, ou des objets entrevus au fil des images créées – Geneviève Saumier invoque en arrière-plan de cette expression ludique l’autonomie de la peinture, bien avant toute autre thématique non-picturale.
L’artiste se forge un univers visuel propre, cohérent et fertile qui ne recèle pas de lourdeur, de formule, de rituel, de sérialité… Le geste, le tracé circulaire ou elliptique, la ligne courbe ou en spirale, des réticules et des réseaux chromatiques communiquent entre eux et s’enchainent dans la même toile ou d’une toile à l’autre. L’artiste permet aux taches de dégoutter, de dégouliner, avec la curiosité de celui qui veut voir ce que ça donne. Sur un fond de connaissance des effets chromatiques et de la technique picturale, elle s’impose une absence de contrainte et de timidité. Le jaillissement est intérieur. « La conscience d’un public est secondaire sinon inexistante », lorsque l’artiste est en train de peindre. Elle décrit son art comme une peinture qui vient de dedans… Quant à l’expression picturale, Geneviève Saumier admet : « Je ne veux pas qu’elle plaise… »; sur le coup elle ajoute : « …et pourtant, si, la peinture peut créer une joie. »
« Lorsque je peins, je ne veux pas revenir en arrière. Je n’efface pas. D’où aussi la peur… Ça prend une philosophie de l’action : je dois aller de l’avant! » Geneviève Saumier explique qu’elle crée des univers. « Chaque tableau qu’on crée a sa propre personnalité. Il faut foncer avec cette personnalité. » Encore elle insiste : « Ça doit être relié au plaisir.»
Quel serait donc le processus de peindre? « Toute forme se dissout », dit l’artiste. « Quand je vais trop vers la forme, je m’arrête : je veux faire du plus informel. Qu’est-ce qui arriverait s’il n’y avait pas de structure? Je regarde ce qui arrive. J’essaie de me surprendre! » Sur la toile, certaines couleurs dégouttent, se mêlent, s’entremêlent. Les tracés circulaires cèdent la place aux carrés, aux courbes, etc.
L’artiste, montréalaise de naissance, habite actuellement à Mexico, un fait auquel on peut attribuer une certaine spontanéité influencée par la fougue méridionale, qui est également présence d’un subtil érotisme. Elle crée un environnement de couleurs et de formes, de suggestions organiques et végétales : elle laisse sans excuses l’ambigüité entière – les suggestions de profondeur et de perspective ne sont pas du tout résolues.
Au plan chromatique, l’artiste crée des harmonies particulières. Ce ne sont pas autant les tons complémentaires qui l’intéressent, mais le dialogue des couleurs primaires, tel le rouge, le bleu et leurs dégradés et valeurs. Les nuances du gris jouent un rôle très important comme élément de transition, agent de cohésion, de passage chromatique. L’artiste s’explique : « Mes gris : il y a des gris chauds, des gris froids. Tout le reste vit parce que le gris est là. Le gris est là, il est le « boss » qui met l’employé en valeur. » Comment fonctionne le chromatisme, quel est le processus de sa mise en place? « Tu fais des taches, tu te retrouves avec un désordre total…comme un texte ou une mélodie… il y a une intention, tu construis l’intention, ça devient trop ordonné : et on construit ensuite le désordre. » Le processus possède les jalons suivants : ordre-chaos, ménage-structure.
Dans Régate de casseroles, l’espace est suggéré par des valeurs non-saturées, rouges et bleues, ces teintes sont mises en évidence par un emploi modéré des gris. Dans Opération jaguar, des plages chromatiques dégouttent visiblement. D’amples mouvements de pinceau curvilignes font place à des légères inharmonies chromatiques rose et moutarde, parfois des désaccords qui suscitent un intérêt renouvelé. Dans Popsicle on peut deviner des subtiles évocations de boue et de poussière, un fragment couleur bleu ciel par ci, un fragment bleu mer par là. Dans Têtes de pipes, sur une note fondamentale bleue, à laquelle répondent des rouges, roses et gris, des calligraphies vigoureuses évoquent en sourdine, « à demi-teinte », des ombres, des formes humaines.
Dans le registre de l’art informel animé par un certain vitalisme, cette peinture relève de l’abstraction lyrique, avec sa charge de mystère et de poésie. « La résolution de l’image, c’est dans une position confortable entre l’ordre et le désordre », dit l’artiste. L’accent est mis sur le processus de peindre : curieusement, autant il y a de spontanéité, autant il y a de conscience de ce qui est en train de se faire. « Ça devient vertigineux, tout est possible.» Par ailleurs, il y a le rapport à la peur de trop oser: « Si tout est possible, pourquoi est-ce que je le fais? » C’est le zen, la corde raide, tout le long du processus créatif.
L’exploration est intrinsèque dans cette peinture qui veut écarter la répétition des structures. En intention et en geste, elle vise l’innovation constante, la régénération sans répétition en utilisant un remarquable répertoire de formes.