Edmundo Pavon

Edmundo Pavon nous offre une vision très picturale de la photographie, car son regard est celui d’un peintre qui se sert et qui jouit de l’instantanéité de l’objectif photographique. Témoin de l’univers urbain, l’artiste a trouvé un thème de choix pour nous faire comprendre que la passion du regard est stimulée par la tension et les contrastes inhérents au monde de la ville.

 

Dans l’exposition présente, l’artiste pose un regard à la fois passionné et enjoué sur la sculpture publique, monumentale du nu masculin offerte à l’œil du flâneur dans deux métropoles hispaniques, Madrid et Mexico. Il est question ici de la magie de la rencontre entre le regard photographique et l’œuvre publique sculptée en bronze. L’héritage artistique et historique s’offre à nous. Il s’agit de savoir regarder le paysage urbain, de ne pas céder à l’indifférence, de savoir s’attarder et s’émerveiller devant les œuvres monumentales qui en font partie. Edmundo Pavon, maître de la fluidité du regard, investit également sa photo d’un subtil rôle pédagogique. Il nous invite à la flânerie dans le sens investi de sérieux envisagé par Walter Benjamin et il nous enseigne comment nous attarder sur les divers angles de vue que peuvent nous offrir à la fois les monuments publics et le quadrillage urbain en général.

 

Sérieux, étonnement, abandon : voilà ce que je nommerais des qualités du flâneur urbain idéal envisagé par Walter Benjamin. Dans ce sens, la vision photographique a peu à voir avec la monumentalité des cartes postales. L’on explore – on ferme les yeux- on envisage divers angles. Edmundo Pavon meut l’objectif de haut en bas, autour du monument, de droite à gauche, il capte des détails. Sa vision est fluide, analytique, mouvementée, à la mesure des monuments romantiques et néo-baroques qu’il photographie. Il y a correspondance, dans le sens infiniment varié conçu par Baudelaire, entre l’objectif d’Edmundo Pavon et l’œuvre sculptée du maître espagnol Ricardo Bellver ainsi que celle du maître mexicain Jorge Marín.

 

La vision picturale

 

Dans le cas présent, la vision picturale de la photographie s’est épanouie grâce au cliché travaillé au photo-shop qui implique un schéma monochrome utilisant une teinte rouge foncée avoisinant la couleur du cuivre – et peut-être suggérant l’univers sépia. L’artiste développe la perception suivante: « Le rouge est synonyme de passion », explique-t-il. Passion de l’art photographique, passion de l’urbanisme, passion pour la sculpture du nu… Ces photos, à part d’être un témoignage urbain, sont l’expression d’un intérêt pour une philosophie visuelle intrinsèque au corps humain.

 

Dans l’univers de la photo urbaine laissée telle quelle ou bien retravaillée au photo-shop, Edmundo Pavon a trouvé son propre langage, son vocabulaire artistique très varié : des combinaisons quasiment infinies de lignes et de couleurs pour traduire l’esprit du lieu, l’état d’âme qui peut le percevoir, une perception personnelle de la sociologie et de l’histoire du lieu. Son oeuvre est un carrefour entre un thème, une ville, un artiste, une technique… Dans la plupart des cas, le drame urbain, qui contient aussi ses moments de quiétude, se présente comme néo-baroque.

 

Les tendances du travail au photo-shop d’Edmundo Pavon sont la simplification du détail et la métamorphose des couleurs. La photo devient extrêmement picturale, empreinte de rythme et de musicalité. L’approche néo-baroque se manifeste par le plaisir de l’espace transformé par la métamorphose du bleu en rouge dans une série de photos qui captent Mexico, dans la saisie photo de la modulation de la lumière au fil des clichés – dans la maîtrise de l’illusion de l’espace qui acquiert une dimension littéraire et épique.

 

Il s’agit de la réflexion esthétique, sociale, historique, du globe-trotter. Dans Lisboa, le ciel devient rouge, la rue devient bleue… L’esprit du lieu est fantastique.

 

Le travail photo-shop des couleurs débouche sur le réalisme magique des scènes. Déjà ludique, le théâtre urbain peaufiné dans certaines métropoles par des générations d’architectes et d’artisans devient fantastique, transformé par photo-shop. La lumière du jour prend des reflets crépusculaires.

 

MARíN ET BELLVER

 

« Partout où nous trouvons réunies dans un seul geste plusieurs intentions contradictoires, le résultat stylistique appartient à la catégorie du Baroque. L’esprit baroque veut en même temps le pour et le contre ». (Le baroque selon Eugenio d’Ors : citation)(1)

 

Entre le réalisme magique qui trouve le rêve dans la réalité, et la quête de l’infini dans le détail du baroque, il y a toujours une affinité. La possibilité du magique, du surnaturel fait irruption dans le quotidien. Jorge Marín (né en 1963) est le sculpteur mexicain des ailes et de l’impondérable, qu’il transforme en bronze.

 

Dans la sculpture urbaine de Marín, Edmundo Pavon est en présence d’une sensibilité sœur qui mise sur l’impondérable. La photographie de Pavon capte la lutte du sculpteur contre la soumission aux contraintes de la gravité : le photographe sait rendre compte du vide autour de la forme, vide qui équilibre visuellement la forme et la fonde dans l’espace.

 

« Je compte présenter deux séries qui peuvent se classer sous la rubrique de Red Angels : ce sont des sculptures de Jorge Marín. La deuxième série est un bronze assez connu car il paraît que c’est la seule statue dédiée à Satan, œuvre de Ricardo Bellver à Madrid. Il s’agit de deux façons d’aborder la beauté du corps masculin », écrit Edmundo Pavon.

 

L’œuvre de Marín, étalée le long du Paseo de la Reforma à Mexico, est pleine d’énergie potentielle. Le corps humain est prêt à bondir, à « exploser »- en analogie à l’agitation cinétique infinie de la mégapole Mexico de presque 30 millions d’habitants, qui l’entoure. Il y a un abus de sentiment dans le baroque. Ce drame a été transplanté d’Espagne en Amérique centrale et au Mexique. On peut évidemment déceler sa trace dans l’œuvre photographique d’Edmundo Pavon. Les personnages hybrides de Marín, triomphants sous les branchages élancées du Paseo de la Reforma, déploient des ailes en lamelles qui évoquent celles du Quetzalcoatl, serpent à plumes, l’une des principales divinités mésoaméricaines, vénérée par les Aztèques, les Maya, les Olmèques, les Toltèques… Le grotesque dans la sculpture de Marín se retrouve dans un personnage humain, aux inquiétants appendices animales – mains-pattes rudement articulées – portant masque prolongé par un bec.

 

L’objectif d’Edmundo Pavon le capte sous une diversité d’angles. Dans le Parque del Retiro à Madrid, se retrouve le corps ailé en bronze de Lucifer, l’ange biblique déchu, par Ricardo Bellver (1845-1924), placé sur un socle en granit entouré de jets d’eau en forme de diables. Satan est représenté avec un serpent autour du corps et son visage baigne dans l’horreur. Il y a probablement chez Bellver l’influence d’un groupe statuaire hellénistique Laocoon et ses fils, attribué aux sculpteurs Agésandre et Athéonodore de Rhodes. On observe dans la sculpture de Bellver la posture contorsionnée, mettant en valeur la tension du biceps et des groupes de muscles pectoraux. Le jeu, le tourment entre le serpent enlacé autour de la jambe et la tension des ensembles pectoraux est remarquable.

 

Alors que chez Satan de Bellver, l’on note l’influence de la beauté idéale de la Renaissance et l’esprit rebelle et prométhéen qui caractérise le romantisme et le début de la modernité, dans la sculpture de Marín l’influence de la mythologie mésoaméricaine est plus forte. L’homme se trouve au croisement des espèces, il s’inscrit dans le règne animal- en tout cas, il lui est apparenté. La vision de Marin est romantique, mais aussi- curieusement, espièglement – de manière inquiétante -zoomorphe.

 

Dans le cas des deux séries, celle de l’œuvre de Marín à Mexico, ainsi que celui des images de la sculpture de Lucifer prises à Madrid, la photo sert à développer une œuvre d’exploration urbaine de l’art, de l’architecture et de l’esprit du lieu, mais elle est aussi un moyen d’enseignement à regarder, à admirer deux œuvres sculpturales du dix-neuvième et du vingtième siècle, qui mettent en mire le corps masculin.

 

  • Eugenio d’Ors cité dans : Frédérico Dassas- L’illusion baroque L’architecture entre 1600 et 1750 Découvertes Gallimard 1999 p. 146