Capter l’imaginaire
29 aôut 2016
Danielle Cadieux : Estampe
Galerie Vincent- d’Indy
Centre multifonctionnel Francine-Gadbois
1075, rue Lionel-Daunais
(450) 449-2800
www.centremulti.qc.ca
Boucherville, Qc.
Du 29 juin au 24 juillet 2016
Et
Danielle Cadieux : Collagraphie
Galerie LUZ
372, Ste-Catherine Ouest suite 418
Montréal Québec, H3B 1A2.
(514) 908 2880
Du 1er au 25 juin 2016
Un remarquable bonheur visuel – ou encore un état de grâce – se dégagent des oeuvres gravées de Danielle Cadieux. Des espaces plastiques d’une fluidité particulière créent des états psychiques inédits chez le spectateur. Si notre idéal de l’art est marquée par l’émotion esthétique, la démarche de Danielle Cadieux correspond à cette idée.
Ainsi, une grande variété d’impressions lumineuses sillonne l’oeuvre gravée. Les monotypes, – estampes en exemplaire unique – dévoilent des formes angulaires baignées par des éclairages tantôt diaphanes, tantôt mystérieux : le grain de la couleur et du papier et la nuance chromatique forment des unions inattendues. Arborescente, la ligne peut évoquer des corps minéraux, des nervures sur des feuillages, des images de filiation biologique, visions du corps humain… un monde de la polysémie. En monotype, la rapidité du travail de la couleur favorise la spontanéité expréssive et l’improvisation, en passant d’une estampe à l’autre.
Dans le cadre des oeuvres de Danielle Cadieux, les impressions collagraphiques, en revanche, reflètent la structure ferme de la matrice qui est souvent taillée en carton. Les planches gravées nous révèlent, dans une série d’estampes, des filaments opalins et des formations réticulaires qui évoquent le givre et la glace.
En contraste avec l’impression par monotype, l’image apparaît comme plus ferme – réflet de l’entaille, des dénivellations de la matrice. On note également des plages et entrelacs plus foncées qui évoquent des ombres, un jeu plus prégnant du vide et du plein.
Conçu autour du thème du livre et du destin du monde de l’imprimerie, une série de collagraphies de petites dimensions intitulée Il était une fois (produite entre 2012 et 2016), entame un subtil et passionné dialogue avec le spectateur, en suggérant des multiples significations : lectures qui évoquent les rapports entre la société et la culture.
Cette singulière poétique est le résultat d’un long parcours dans le monde des arts de la gravure. « J’ai appris à dessiner en tant qu’artiste commerciale», explique Danielle Cadieux. « À un certain moment dans mon développement d’artiste, j’ai voulu aller plus loin que le dessin figuratif; j’ai réussi à accomplir ceci grâce à l’abstraction ».
Artiste chevronnée avec une centaine d’expositions individuelles et collectives à son actif, Danielle Cadieux exposait pour la première fois en 1989. Elle a suivi de multiples cours et stages en monotype, lithographie, gravure sur bois et collagraphie, ayant comme mentor l’apprécié artiste et professeur d’origine portugaise Carlos Calado associé à la galerie Graff, ainsi que Talleen Hacykian, réputée praticienne montréalaise de la collagraphie. Actuellement, Danielle Cadieux est associée à l’atelier Zocalo de Longueil. En 2015, l’artiste participait à la dix-septième biennale internationale de gravure de Sarcelles, en France.
En utilisant des moyens d’une certaine simplicité, Danielle Cadieux obtient des résultats d’une grande originalité. Au cours de sa carrère, l’artiste s’est initiée à la subtilité des différantes branches de la gravure. Néanmoins, depuis une dizaine d’années, elle a dirigé sa recherche dans un domaine très précis.
L’artiste explore l’utilisation des papiers fins – papiers de soie, poreux ou glacés – en combinaison avec une variété de teintes d’encrage – en tant que base ou support pour les planches gravées. À la fois en monotype et en collagraphie, elle utilise actuellement ces médiums.
Dans la création des monotypes, la feuille de papier fin peut être laissée vierge ou intacte, ou encore elle peut être découpée, pliée, froissée… Dans cette branche très gestuelle de la gravure, l’artiste déplace les fragments de papier fin sur le support en plexiglass, d’une impression à l’autre. Encrage, papier : avec des moyens si simples en apparence, l’artiste obtient les colorations hybrides les plus subtiles – les plus improbables – et des variations d’éclairage interne dans l’image surgissent du processus rapide, spontané.
Sur un registre tonal décrit comme « plutôt froid » par l’artiste, la série de monotypes intitulée Fracturations (2015), recèle une alchimie de gris, vers et noirs illuminée parfois par un foyer central aux teintes rosées. Les mots ne peuvent véritablement pas capter un monde qui se déploie à un niveau purement visuel. Les formes polysémiques qui suggèrent des cristaux, des formes géologiques et végétales- selon l’imagination et l’humeur réceptive du spectateur –sont parfois éclairées par un foyer qui semble exister derrière les zones plus foncées. On imagine peut-être dans cette série des flûtistes des vases héllènes appelés kraters exécuter des rituels magiques…
Tout un groupe de tonalités chaudes – carmin, cinabre, bordeau, écarlate, orangé – se côtoient intimément dans les monotypes des séries Souffle des corps et Incandescence (2010). Des foyers de lumière blanche ou orangée situés centralement – ou encore de manière excentrée – dans l’espace plastique mettent en relief des formes ébréchées et foisonnantes en teintes rouges et oranges, qui pourraient être associées aux lueurs du feu ou de la chair ouverte et palpitante.
Les collagraphies dénotent un travail sur une matrice affermie, consolidée. La série Entre chien et loup évoque une exploration du trait qui ça et là s’élargit et devient une zone foncée. Dans Carmina, collagraphie réalisée en 2003, un éclairage interne apparemment plus froid marque le contraste entre la bande centrale qui varie entre rouge sang et carmin et les marges d’un gris tantôt retenu, tantôt tirant sur le noir. Autant dans les monotypes que dans les collagraphies, des formes peuvent être envisagées sous l’angle de configurations fractales suggèrant des ressemblances, des continuités entre le règne végétal et l’univers minéral.
Dans les séries Il était une fois et Humanitude (2016), plusieurs techniques de gravure sont réunies : collagraphie, linogravure et transfert d’images sur une seule page imprimée. L’artiste crée des oeuvres nouvelles dont la lecture est ouverte, la signification mutiple. La tonalité globale dégagée par ces oeuvres est celle d’un ocre brun chaleureux.
L’artiste travaille en palimpseste sur des pages éfeuillées d’un recueil d’odes par J. B. Rousseau, poète romantique du dix-neuvième siècle, aujourd’hui oublié.
Marquée par une charge visuelle contemporaine apportée par Danielle Cadieux, les pages perdent le sens littéraire initial. Sur les feuilles du livre original, l’artiste fait un transfert de diverses photos d’enfants africains, en ajoutant également des lettres majuscules rouges transférées en linogravure. À partir de ces pages appartenant au monde de l’imprimerie – transformées en gravures hybrides et plutôt complexes – le spectateur est convié à formuler son conte à lui, à créer sa narration.
Ces techniques à la fois hautement planifiées et tout à fait gestuelles accouchent d’une esthétique originale, d’un univers chromatique et conceptuel qui pose un défi au langage. L’oeuvre relève d’une construction intense et d’une grande spontanéité. La rencontre entre la ligne et l’énergie de la couleur révèlent une imagination libre et dévoilent des possibilités insoupçonnées d’être.