Rythmique du rêve (techniques mixtes)
Not Staying
Galerie Trois Points
372, rue Ste.-Catherine Ouest
Espace 520, Montréal H3B 1A2
www.galerietroispoints.com
(514) 868-8008
du 23 novembre au 21 décembre 2013
Les tableaux en techniques mixtes de Cliff Griffin évoquent le fonctionnement de la mémoire, ou encore l’enchaînement de visions d’un rêve éveillé. Ces œuvres sont produites par une démarche gestuelle, tout en démontrant un souci de structure. Griffin explore le laisser-aller d’un flot d’images mentales en libre-association, puisant dans un varié gisement de souvenirs. À cette spontanéité du rêve éveillé correspond la récupération de matériaux hétérogènes d’origine commerciale.
Avec des mouvements dégagés l’artiste peint sur des panneaux de contreplaqué industriels ou de construction, tout en ajoutant ici et là des photos découpées provenant de magazines illustrés, en construisant des collages.
Dans ses œuvres, on note ce que l’on pourrait nommer une « poétique des absences ». Il a un sens très fin de l’espace vide. De sa palette font partie non seulement la couleur, mais aussi « l’absence » de couleur. L’artiste a le flair des aires dépouillées. L’espace pictural est léger. Le champ visuel est encore dilué grâce à des découpages dans le contreplaqué, créant un vague sentiment de sculpture ou de relief pictural. Le sentiment de flânerie est renforcé par des zones de faible densité chromatique.
Au fil des compositions, il y a des éléments qui se répètent. On constate un discret mais réel romantisme de la nature, la récurrence de photos d’édifices puisées de magazines d’architecture, ainsi que la présence d’une silhouette dénuée, indistincte. En se référant à cette forme humaine, Griffin se réclame volontiers de l’influence de l’artiste Betty Goodwin et de ses symboles de simplicité et de secret désespoir.
L’engouement pour le paysage de Clint Griffin apparaît en contrepartie à la condition psychique de l’homme contemporain. L’eau et la pelouse qui reviennent sans cesse dans ses tableaux peuvent être envisagées comme remparts pour un psychisme fouetté par le changement social. Le soi ne s’épanouit qu’en pleine nature. Œuvrant au cœur d’une culture fortement technologique, Griffin donne libre cours à un tempérament qui vibre au gré de l’océan et du monde végétal.
Une calligraphie, un lettrage fantastique définit parfois le rythme de l’image. La carrure de l’écriture dans Fast As ébauche des coordonnées verticales et horizontales afin de stabiliser une image englobant mer, plage, ainsi qu’une route qui ne débouche nulle part. La discrète silhouette dans un coin de l’image accentue son romantisme : elle agit comme rappel d’un moi qui relie entre eux les flots de l’océan et le courant de la mémoire. Une narration est ébauchée par la présence humaine, mais aussitôt entamée, elle s’efface. Le récit se noie dans la vague de la mémoire et de la nostalgie.
Deux couleurs semblent ressortir dans cette œuvre. Il s’agit du vert prairie, ainsi que d’un bleu aquatique qui se mue en bleu azur ou bleu ciel. Ces tons contribuent à l’évocation très intense de la nature.
Le noir, le bleu, l’orangé et le vert sont au rendez-vous dans Obstacle Illusion. Quelques signes plutôt discrets déclenchent des images intenses: prairie, verger, ciel gris, océan et un quai marin. L’artiste est hanté par l’élément eau. « L’eau est la vie », s’exclame-t-il. Et dans une remarque complémentaire très caractéristique, il ajoute : « L’eau, c’est également la destruction! » C’est l’anéantissement par l’eau qui l’impressionne : ni les cendres du feu, ni les décombres du tremblement de terre. « C’est le tsunami du Pacifique en 2004 et des destructions qui m’ont bouleversé; c’était l’image même du déchaînement de l’eau ». Et pourtant, dans son bleu clair et immaculé, l’eau est suggérée comme rêveuse et pacifique dans Our Making Any Better. (Nous pourrions faire mieux … en fait, c’est un titre cryptique, intraduisible).
Dans Living Somewhere Between Then And Now (Quelque part entre present et passé), Griffin démontre une maîtrise du paysage canadien avec sa lumière spécifique : ciel gris, eau bleue d’une grande intensité, quelques vagues maisons et des herbages, sur deux registres fondamentaux qui se complètent : lumière de l’automne tardif, ainsi que grisaille quasi hivernale. L’artiste montre une belle perspective linéaire dans une scène champêtre, alors qu’ailleurs, dans des œuvres telles que Fast As, il peut ébaucher une perspective étagée, à la chinoise. Dans Our Making Any Better, le regard pictural plane au-dessus d’un champ apparemment inondé d’une obsédante flaque bleue. La variation de perspectives picturales contribue à la sensation de nostalgie et de prépondérance des souvenirs comme vécus psychiques.
L’utilisation des techniques mixtes, l’hybridité de l’image qui vibre et se transforme est pour Griffin une manière de traduire la réalité fragmentée des nouvelles techniques qui dominent la vie. Si le contenu de l’œuvre est lyrique, la structure hybride de l’œuvre reflète aussi la nature fluctuante d’une vision informée par l’électronique. En effet, à travers une technique artistique non-technologique, l’artiste fait un clin d’œil à la technologie.
House and Home est une sculpture assemblage produite en contreplaqué de récupération. Se détachant d’une ouverture découpée au milieu d’un paysage lacustre, une improbable cabane en bois est fixée au bout d’une tige métallique et placée dans un état de flottaison. L’une de ses façades semble appartenir à une église romanesque de campagne. L’allusion à la rêverie surréaliste, un peu dérivée de Magritte, est assez frappante.
Griffin a la capacité de créer des œuvres en partie abstraites, en partie figuratives, en frôlant à sa manière des moments de l’histoire de l’art moderne. Contrairement à bien des artistes contemporains qui privilégient le signe fort, l’empreinte très explicite, Griffin, à travers un discours léger, mais significatif au-delà de la surface, laisse une grande latitude au spectateur de retrouver son propre rythme au fil des images.