Bärbel Rothaar

L’art écologique: Un hymne addressé au miel
Bärbel Rothaar, Travaux d’abeilles
Galerie Samuel Lallouz
1434, rue Sherbrooke ouest #200 Montréal (Québec) H3G 1K4
www.galeriesamuellallouz.com
(514) 849-5844
Du 1er octobre au 14 novembre 2009

bee_painting_largedpi[1]L’artiste berlinoise Bärbel Rothaar mobilise les ressources de l’expression artistique conceptuelle afin d’explorer des problèmes liés à l’écologie. En effet, une grande partie de son œuvre récente vise à créer une prise de conscience quant au rôle crucial des abeilles dans la sauvegarde et dans la stabilité de notre biosphère. L’artiste multidisciplinaire s’enthousiasme en fait sur l’importance de l’abeille en tant que maillon essentiel dans la continuité des écosystèmes.

L’œuvre peut se lire comme un hymne dédié à ces insectes d’élite qui prêtent service à l’homme depuis l’aube des cultures. Rothaar se plaît à souligner : « Pour que l’homme puisse se nourrir, abeilles et guêpes doivent entreprendre leur travail de pollinisation des espèces végétales. » Depuis plus d’une décennie déjà, Bärbel Rothaar crée une œuvre plurielle sur le thème du rôle de l’abeille dans la culture : il s’agit d’un travail qui comporte l’expression graphique incluant des techniques mixtes sur papier, la sculpture, la photo, le collage, la vidéo…en effet l’artiste déploie la panoplie des expressions artistiques contemporaines.

L’intervention biologique

En prêtant un rôle central à des abeilles qui déposent leur cire sur une sculpture posée dans une ruche, Rothaar propose une sorte de performance ou intervention biologique. Alternativement, l’on peut penser à une extension du sens de l’œuvre in situ. Le spectateur a l’occasion d’observer une section de la ruche contenant à la fois la sculpture, la cire et même les abeilles. Cette réflexion visuelle quasi philosophique est en étroit rapport avec la vie même de Bärbel Rothaar, qui pratique également l’apiculture et possède ainsi sa propre exploitation de ruches.

Dans son processus de création – ou de production artistique – Rothaar accorde un rôle essentiel au phénomène naturel : elle génère en fait un « dialogue » avec le phénomène naturel laissé à s’épanouir. Rothaar dépose en fait des sculptures et des planches dessinées dans des ruches remplies d’abeilles. Les abeilles à leur tour déposent des fragments de rayon de miel aux parfaites alvéoles hexagonales sur les œuvres d’art en gestation. Le résultat en tant qu’œuvre hybride peut surprendre : tel le cas d’une spirale en métal foncé placée sur arrière-plan de rayon de miel d’un jaune lumineux – tout ceci étant enchâssé dans un cadre de bois découpé de l’intérieur d’une ruche. (Croissance sauvage I, Wildwuchsobjeckt 1999) La régularité géométrique des alvéoles naturelles évoque peut-être également l’abstraction géométrique en tant qu’expression picturale.

Ainsi dans le système esthétique de Rothaar la culture et la nature, loin d’être antithétiques, semblent se rejoindre. La richesse d’allusions et concepts proposés par Rothaar évoque des rapports avec la pensée musicale. La création est ouverte ici : elle se déploie comme une méditation multidimensionnelle : elle effleure peut-être la mémoire d’une phrase musicale ouverte d’un opéra wagnérien aux implications sonores inattendues… Le miel observé dans ce rayon mis en vue dans le cadrage, constitue traditionnellement un puissant symbole de joies gustatives et érotiques – et c’est dans ce contexte que l’on peut aussi envisager la notion d’une méditation esthétique et musicale ouverte.

Maxillaire de brebis et papier doré

Un autre cadre démonté d’une ruche met en exergue un morceau de maxillaire de brebis enrobé en papier doré – également entouré de couches de rayons de miel. C’est à la fois vulgaire et cruel : l’image choque! Sur un registre de sauvagerie expressionniste qui effleure un vague panthéisme philosophique, le sublime et le macabre se rejoignent allégrement… L’artiste touche plusieurs registres de l’histoire de l’art allemand.

Dans ses œuvres graphiques moins hybrides – dans celles où il n’y a pas cette « intervention » des abeilles – Rothaar s’avère une excellente dessinatrice qui maîtrise l’art de la composition. À côté de nus féminins d’une ligne fort concise et frémissante et de lignée très baroque, Rothaar parfois inscrit des fragments d’écriture calligraphique et de lavis à l’encaustique. Ailleurs dans les créations de Rothaar, l’artiste a dessiné à l’encre noire des crânes d’ibis au profil très percutant (Ibis et essaim d’abeilles, 2000) : là le macabre se joint au sublime, qui cette fois semblent nous regarder du tréfonds de l’antiquité égyptienne. Rothaar laisse aussi parler son inconscient personnel sur un registre surréaliste. « Mon travail s’accomplit par l’addition de couches de mémoire, en agençant des éléments. Il s’agit de dessins, de fragments de texte qui m’intéressent et qui m’inquiètent », dit Rothaar en se référant à son processus de création. Un fond photographique pour la peinture souligne souvent l’accumulation de couches de mémoire.

Dans des œuvres des années quatre-vingt et quatre-vingt-dix, Rothaar a démontré en tant que peintre sa maîtrise des subtilités de la couleur et de ses divers dégradés. Actuellement, elle transfert cette connaissance au traitement des noirs, des gris – et de leurs divers dégradés. L’œuvre présente nous rappelle qu’un travail sur des valeurs du noir n’est pas forcément un travail monochrome. (Pierre Soulages) Chez Rothaar, les discontinuités de la ligne et de la surface encrée évoquent encore des résonances musicales.

La voix du romantisme allemand

Dans ce cycle écologique de Rothaar, l’on retrouve la voix du romantisme allemand. Elle contraste le thème du monde enchanté et mystérieux symbolisé par le travail merveilleux des abeilles et le motif de la mort des abeilles – du dérèglement terminal de la nature. Dans le romantisme allemand, le céleste, le sublime et l’érotique sont complémentés par la menace du néant – de la mort. C’est pratiquement le cas des œuvres de tous les poètes romantiques allemands, en passant par Heine jusqu’à Rilke. Le mouvement ascendant de la joie est menacé par la tristesse en contrepoint.

Dans le sillage du romantisme allemand – en trace post-moderne caractéristique de ce deuxième millénaire – la méditation esthétique de Bärbel Rothaar sur la vie de l’écosystème possède ses moments de joie et ses moments de détente et de désespoir. Accompagnée d’une fine musicalité, cette œuvre fait aussi partie d’un vaste mouvement de prise de conscience écologique visant la fragilité des écosystèmes et celle de la vie même.