Agnès Delorme

___brnelleschi_agnesVoyage en Europe : La lumière révélatrice (mon titre)
Centre culturel russe 4846 Ave. Du Parc
Du 5 au 12 mai 2011

Au fil d’une peinture figurative et descriptive qui dégage une singulière émotion, l’artiste montréalaise Agnès Delorme se propose une exploration de quelques monuments italiens, français et allemands. L’artiste se passionne pour l’histoire architecturale européenne, elle sait créer des mises en scène soigneusement composées de détails, d’images significatives (à la limite, archétypales) qui décrivent des moments charnière dans le cadre de l’histoire architecturale. Une arcade du quattrocento florentin, des clochers néo baroques du dix-neuvième appartenant à une église orthodoxe ukrainienne de Salzbourg, éphèbes assis dans leurs niches d’imposantes galeries marchandes du dix-neuvième siècle français : à travers ces icônes stylistiques l’artiste nous offre une vision oblique, subjective, de l’histoire de l’architecture, débouchant sur une réflexion ouverte. À intégrer ces images, nous pouvons envisager notre Grand Tour de l’Europe, à l’image de ces voyageurs anglais du dix-huitième siècle qui faisaient leur découverte du « continent ». Des détails révélateurs – à condition de jouer le jeu de l’exploration du fragment – nous permettant de voyager dans l’espace-temps défini par l’Italie, la France et l’Allemagne.

En parcourant ces pays, l’artiste s’arrête longuement, fait des croquis de monuments, mais en fin de compte, sa peinture à l’huile est une peinture de la mémoire. Éprise de la Recherche du temps perdu, elle cherche comme Proust des éléments déclencheurs de souvenirs, quant à elle, dans un répertoire d’impressions architecturales. Créées en grande partie de mémoire, les toiles l’aident à revivre le moment de la découverte, de remémorer le monument architectural pourvu d’une fraîcheur originale.

Le champ pictural est enrobé d’une lumière chaleureuse qui a le don inédit d’ouvrir un espace psychique pour la méditation. C’est toujours une lumière d’après-midi qui déclare l’importance des sites choisis.

Un premier regard sur l’œuvre nous place assez confortablement dans le domaine du réalisme pictural, cependant une seconde vision note des déformations de perspective, des détails et anecdotes en trompe l’œil, tel ce moustique surdimensionné reflété sur le pan d’une grande baie vitrée d’un palais à Brühl en Allemagne – au point qu’il faut admettre la présence de l’hyperréalisme pictural. L’hyperréalisme, à travers l’accent placé sur certains éléments de la peinture, sur des subtiles déformations, ajoute un côté imaginaire au tableau, aide à la rigueur à révéler un drame caché. Dans la réalité dépeinte se cache une forme de rêverie qui peut déclencher une réflexion personnelle, une émotion.

L’artiste se focalise sur le détail architectural et en particulier sur la sculpture installée en niche, sur un socle ou dans la paroi. Un texte offert par Agnès Delorme explique ses visées : «Les sculptures que j’ai choisi de peindre sont des représentations humaines sculptées, saisies dans leur environnement architectural. Ma peinture tente d’illustrer comment la sculpture, plus précisément la représentation humaine sculptée, évolue dans l’architecture, à différentes époques de l’Histoire, si elle trouve sa place, si elle s’intègre, si elle joue un rôle dans les espaces construits. (…) Ces sculptures représentent les humains que nous sommes évoluant dans les systèmes architecturaux. »

Les tableaux, classiques d’apparence, présentent un champ visuel non fractionné, unitaire, et pourtant l’artiste focalise sur des détails qui occultent en apparence la grandeur de la totalité des monuments, détails qui en quelque sorte nous laissent sur notre faim, à moins que l’on veuille imaginer ce qui est aussi hors du cadre. Cette oeuvre répond à une interprétation analytique et déconstructionniste, qui valorise les limites de l’objet considéré, et leur rôle; en ce sens elle fait partie d’une thématique contemporaine. Le fragment porte en lui les caractéristiques de l’ensemble, ce qui nous conduit, chaque spectateur à son tour, à considérer différemment le tout architectural. En arrière-plan, l’artiste explore les nombreux rapports entre la totalité et le fragment.  Telle cette belle citation de l’historien de la peinture Daniel Arasse :  « … la perception se fait dans une durée au sein de laquelle le détail intervient comme moment fulgurant qui provoque un suspense – une stase dans l’extase – du regard et de son errance. »(1) Pour Delorme, le détail forme le tableau, mais il constitue aussi ce « moment fulgurant » qui fascine Arasse.

Dans Cube architectural comme cube scénique (1987), le détail signifiant est constitué par un segment de la cour intérieure d’Ospedale degli Innocenti, orphelinat de Florence construit par Filippo Brunelleschi en 1419. « Cette œuvre signale le retour aux formes de l’architecture antique », précise Agnès Delorme. « La hauteur de la colonne est la même que l’entre colonne et aussi le même distance du mur au fond. Au point de résolution de la perspective, il n’y a que l’ombre d’un chapiteau, une ombre dématérialisée. » La possible lecture de l’ensemble à partir du détail représenté révèle l’esprit déconstructionniste de la toile. Quant à la lumière, l’artiste est à la recherche du « lien entre l’ombre et la surface éclairée… il y a un moment de la journée, un moment de l’atmosphère terrestre qui donne le flou des lignes ».

Passage Pommeraye, galerie marchande, Nantes (1996), et Statue monumentale de la Galerie David d’Angers en France (1998) présentent des exemples de sculpture de nus masculins dans le cadre de l’architecture commerciale du dix-neuvième siècle. Les divers types d’ombre qui jouent sur le marbre des sculptures sont minutieusement explorés.

Le seul paysage de cette série, la Montagne Sainte Victoire, se distingue par le contraste saisissant entre le mauve des champs de lavande, le jaune éclatant d’un clocher qui domine le paysage, le bleu chaleureux et estival du ciel ainsi que par d’apaisantes et hyperréalistes déformations de perspective. S’il s’agit d’une peinture qui inclut un programme, servie par une théorie et une analyse, il y a aussi une claire jouissance de l’acte de peindre. Et l’artiste de préciser :  «  Il n’y a pas que le côté théorique qui s’impose, mais le plaisir de peindre ».